Le sens dans les apprentissages : du désir au passage à l'acte / Michel Develay. -- Pédagogie Collégiale>, 7, no 4, mai 1994, p. 23-26. -- SDM 9461456.

Texte intégral de l'article

SDM 9461456

Le sens dans les apprentissages:
du désir au passage à l'acte <note *>

Michel Develay
professeur des universités, Université Lyon II


L'enseignant doit chercher à créer des situations qui favorisent, chez les élèves, la prise de conscience de l'usage possible des savoirs enseignés, au-delà des limites de la classe.


Si on tend l'oreille, on entend fréquemment parler de «sens» à l'école:

- (un élève): «A quoi ça sert de faire des mathématiques, de tracer des fonctions, ça n'a pas de sens; c'est quelque chose qu'on ne refera jamais en dehors de l'école».

- (un enseignant à propos d'un élève): «Cet élève est plein de bon sens».

- (un conseiller d'orientation à propos d'un élève qui l'inquiétait jusqu'alors): «François a enfin démarré. J'ai le sentiment qu'il commence à donner un sens à ce qu'il fait».

- (un enseignant qui reprend des études à l'université): «Avec les nouvelles études que j'entreprends, j'ai l'impression de redonner du sens à ma vie professionnelle et à ma vie tout court».

- (un parent à propos de son fils): «J'ai l'impression qu'à l'école rien n'a de sens pour lui et, à l'inverse, qu'avec les copains tout a du sens».

Chaque fois qu'on parle de sens à l'école, c'est pour dire que les élèves qui y trouvent du sens réussissent et que ceux qui n'en trouvent pas échouent fréquemment, ou pour le moins sont en difficulté. Ne dit-on pas d'ailleurs que vivre impose de donner un sens à sa vie? Alors il importerait de donner du sens à l'école pour y réussir, comme il serait nécessaire de donner un sens à sa vie pour la réussir.

Ainsi, en première analyse, pourrait-on dire qu'un élève en échec est un élève en recherche de sens, et qu'un élève qui réussit est un élève qui a trouvé un sens à l'école. Cependant, l'échec est aussi lié à des savoirs qui ont trop de sens pour les élèves qui ne parviennent pas à s'en mettre à distance.

Quelques caractéristiques du sens

Le sens n'existe pas en soi

Il n'y a pas des situations qui ont du sens et des situations qui n'ont pas de sens. Pour certains adultes, faire une activité de militant n'a pas ou n'a plus de sens aujourd'hui. Pour d'autres, faire une activité de militant a et aura toujours du sens. Pour certains adultes, lire un texte sur le sens... n'a pas de sens, alors que pour d'autres... Le sens est, on le voit, quelque chose de personnel que l'on construit ou que l'on ne construit pas dans une situation.

A l'école, il n'existe pas de sens en soi dans les situations que l'élève vit. Le sens est quelque chose que construit l'élève et non pas quelque chose qu'il consomme. Ainsi ne peut-on pas dire a priori que l'éducation physique ou la musique aient plus ou moins de sens que les mathématiques, par exemple.

Le sens emprunte au domaine de l'intentionnalité

Pour trouver du sens dans une situation, il faut que celle-ci corresponde d'assez près à mes intentions, à mes visées, à mes buts.

Complétons cette affirmation en suggérant que le sens ne se réduit cependant pas à l'intention et qu'il réside dans le rapport que le sujet établit entre une action qu'il vit et l'intention, la visée vers laquelle il tend.

Il est abusif de dire qu'une situation a du sens ou n'en a pas. L'école n'a de sens pour un élève que si les situations qu'il y rencontre correspondent à sa visée de l'existence.

Ainsi, les mathématiques auront du sens pour un élève parce que sa réussite dans cette discipline lui permet de répondre au besoin permanent qu'il a de ressentir autour de lui une haute estime de soi. Les mathématiques valorisent son ego. Les mathématiques auront du sens pour un autre élève qui, lui, recherche à se rendre utile aux autres. En effet, les mathématiques lui permettent d'envisager d'être un futur technicien de pompes solaires qu'il rêve d'installer auprès de populations africaines.

Les visées peuvent être conscientes ou inconscientes

Le sens a donc à voir avec la visée. Mais s'il existe des visées conscientes, il existe aussi des visées inconscientes; nos actions sont également déterminées par nos pulsions, par nos fantasmes.

[début de la page 24 du texte original]

Ainsi, Pierre trouve du sens dans le cours de physique parce qu'il rêve de devenir ingénieur et qu'il a compris l'importance de ce savoir dans ses études. Paul trouve du sens dans le cours de physique, non pas parce qu'il ambitionne de devenir ingénieur - il souhaite être juriste - mais parce qu'il y a là une discipline qui oblige à raisonner et qui se conclut par le vrai ou le faux, ce à quoi il attribue beaucoup d'importance.

Pierre et Paul accèdent de manière consciente au sens, selon des voies différentes. Mais Samuel, lui, trouve du sens dans le cours de physique, sans savoir trop le dire, sans l'avoir même pensé, parce que son grand-père disparu était bricoleur et qu'il le retrouve en partie dans tous ces enseignants de physique qu'il imagine bricoleurs en les voyant dans leur laboratoire.

Le sens est toujours à construire et à reconstruire

Le sens n'existe pas une fois pour toutes. Et ce sens se construit à partir de tout ce qui est l'élève, de ses représentations d'une situation, de ses fantasmes, de sa culture aussi. Sigmund Freud écrit: «Nous pourrions remplacer le mot sens par intention ou tendance. La tendance est ce qui oriente l'organisme vers une fin».

Retenons donc que le sens est dans la capacité qu'a l'élève de relier ce qu'il fait à l'école avec ce qu'il est ou se propose d'être. Le sens est dans le rapport entre l'action que j'accomplis et l'intention que je place dans l'action. [...]

Aider les élèves à trouver du sens à l'école

La psychologie permet de comprendre ce qui pousse le sujet à faire ou à ne pas faire, à agir ou à réagir, à apprendre ou à refuser d'apprendre. L'enseignant a intérêt à connaître les explications que les psychologues lui proposent. Mais il ne peut se satisfaire de ces données. L'enseignant a pour fonction d'installer des situations d'enseignement susceptibles de se transformer en situations d'apprentissages pour les élèves. Il doit aider les élèves à trouver du sens à l'école.

«A quoi ça sert d'aller à l'école?», «A quoi ça sert de faire des mathématiques ou de la philosophie?», «A quoi ça sert de...?», demandent fréquemment les lycéens ou les collégiens interrogés par les sociologues. Ces questions renvoient bien sûr à une interrogation profonde sur le rôle de l'école pour le devenir social des élèves. Comment peuvent-ils croire encore que l'école sert à quelque chose pour le futur, dès lors que le chômage touche même les élèves brillants sortant des grandes écoles?

Mais ces questions de collégiens et de lycéens concernent aussi hic et nunc les heures de cours qu'ils affrontent. Comment faire en sorte que cette heure de mathématique sur la fonction y = ax, ce cours d'éducation physique à propos de la danse, cette heure de biologie sur la respiration anaérobie aient du sens pour les élèves?

Au plan pédagogique, l'enseignement peut aider l'élève à trouver du sens s'il lui permet de prendre conscience de l'usage possible en dehors de l'école du savoir enseigné, de s'investir au cours de l'apprentissage et de prendre conscience de la manière dont il s'est approprié ce savoir, de prendre conscience de sa conscience, de penser sa pensée. On notera que cette capacité à se regarder faire est au service du transfert.

Aider l'apprenant à prendre conscience
de l'usage possible du savoir enseigné

Lorsque des élèves posent la question «A quoi ça sert de faire des mathématiques, ou de l'histoire, ou toute autre discipline?», ils se posent la question du rapport entre l'investissement qu'ils jugent nécessaire pour entrer dans ces apprentissages et le bénéfice qu'ils peuvent en retirer. Ils ont de l'école une approche économiste, mercantile, pourrait-on dire presque. Ils pensent investissement et profit. On peut le déplorer, certes, tant chaque enseignant aimerait que ses élèves vivent un rapport au savoir totalement désintéressé. Mais qui ne fonctionne pas sur le registre de l'usage? En tout état de cause, il est sans doute préférable de pouvoir leur répondre.

Comment leur répondre? De deux manières: en leur montrant quel usage social il est possible de faire du savoir enseigné à travers des pratiques sociales de référence, et en les conduisant à réfléchir à l'usage personnel qu'ils peuvent faire du savoir enseigné en termes de projet scolaire et de projet professionnel.

- Le sens se construit dans sa dimension sociale lorsque l'élève peut trouver un rapport de fonctionnalité dans des connaissances enseignées. Ainsi, l'apprentissage a à voir avec les pratiques sociales de référence <note 1>.

Ces pratiques de référence peuvent être illustrées en termes de problèmes que le savoir permet de comprendre, de tâches, d'attitudes et de rôles sociaux. Les notions de physique, de biologie ou de langue vivante entretiennent des relations étroites avec des situations sociales dans lesquelles elles apparaissent comme une nécessité. L'utilisation des contenus scolaires est parfois oubliée par l'enseignant tant elle lui apparaît évidente. La finalité de l'école est aussi le «après» l'école ou le «à côté» de l'école. On oublie souvent que l'apprendre est au service du faire; que les savoirs scolaires n'ont pas comme seule finalité de passer dans la classe suivante, mais d'aider à comprendre le monde.

- Tout projet est fondé sur la logique de l'interaction entre un sujet et une situation à laquelle ce sujet se confronte et qu'il cherche à modifier. Il n'y a projet que s'il y a du futur à aménager. En ce sens, tout apprentissage nécessite une vision prospective de son usage scolaire possible et conduit à une prise de conscience de ce qu'il autorise. Une manière de donner du sens aux apprentissages, c'est de permettre à l'élève de réfléchir aux satisfactions que la réussite de son apprentissage lui permettra, au regard de son projet scolaire ou de son projet professionnel. Travailler avec les élèves sur leur projet personnel est sans doute une des conditions de leur engagement scolaire. Il s'agira alors de les responsabiliser pour qu'ils parviennent à un écart le plus faible possible entre leurs aspirations et l'investissement nécessaire pour les satisfaire.

[début de la page 25 du texte original]

En ce sens, l'école devrait travailler plus encore en termes de contrat qu'en termes de projet. Le contrat conduit à un engagement de responsabilité entre l'enseignant et l'élève sur ce que le premier mettra en oeuvre pour aider le second à apprendre telle notion, à s'approprier telle méthode, mais c'est aussi l'engagement que prendra le second pour parvenir à ces fins.

Le projet scolaire et, mieux, le contrat scolaire constituent une des conditions pour faire émerger chez l'élève le sens de ce qu'il apprend en l'associant à sa réussite présente ou à plus long terme. Le projet nécessite d'abord d'explorer des possibles, puis de cristalliser un choix, ensuite de spécifier ce qu'on veut et ce qu'on peut, et enfin de réaliser, donc de passer de l'intention à l'action. Conséquence: «Tout projet conduit à découvrir, à organiser, à choisir, à agir» <note 2>.

Le projet professionnel conduit le sujet à situer sa trajectoire d'autoformation dans une logique de profession dont Guy Bonvalois et Bernadette Courtois supposent quatre caractéristiques pour qu'il soit poursuivi jusqu'à son terme: son authenticité (démarche volontaire qui oblige à un engagement du sujet), son effectivité (le projet conduit à une prise de risque, un investissement et des efforts), son efficacité (le projet doit apporter des satisfactions à son auteur), sa multidimensionnalité (il concerne une dimension cognitive mais aussi interpersonnelle et sociale).

Aider l'apprenant à prendre conscience de sa propre pensée,
à avoir conscience de sa conscience

Le sens est dans le rapport entre, d'une part, le bénéfice escompté en termes professionnels et personnels ou en termes de pratiques sociales et, d'autre part, l'investissement nécessaire pour y parvenir. Il se joue alors dans le long terme, c'est ce que nous venons de constater. Mais le sens réside aussi dans le rapport qui se crée entre la tâche scolaire à effectuer et le bénéfice qu'on peut en escompter à court terme si elle est réussie.

Ce sens qui émerge du rapport à court terme entre le sujet (l'élève) et l'objet (la tâche) a donné lieu à trois propositions d'actions pédagogiques.

- Pour certains pédagogues, le sens réside dans le sujet. C'est à l'élève qu'il appartient de s'investir dans les situations qui lui sont proposées, quelles que soient ces situations; c'est le courant de la pédagogie de l'effort, de la pédagogie de la volonté. Cette volonté considérée comme une vertu de l'entendement, cette «police de l'esprit» sera pratiquée dans une école à l'austère visage, seule propice à l'action dénudée que suppose tout apprentissage <note 3>.

- Pour d'autres pédagogues, le sens réside dans l'objet auquel l'école fait se confronter l'élève. Il convient en conséquence de lui proposer des activités ludiques qui sauront déclencher des apprentissages; c'est le courant de l'école nouvelle, d'un certain pédocentrisme.

- Pour d'autres pédagogues enfin, l'apprentissage ne réside ni dans la contrainte qui conduirait à l'intérêt, ni dans le prolongement de besoins considérés comme naturels qu'il conviendrait d'entretenir. L'apprentissage réside dans la capacité offerte par le maître à l'élève d'analyser en permanence la relation qui le lie, en tant que sujet, aux objets qui lui sont proposés. Apprendre ne résulte, dans cette optique, ni d'une situation de contrainte, ni d'une situation de liberté, mais découle d'une clarification de la relation que le sujet entretient avec les objets auxquels le confronte l'enseignant.

Apprendre, pour les pédagogies de la volonté, c'est écouter. Apprendre, pour les pédagogies inspirées de l'école nouvelle, c'est faire. Nous adhérons à l'idée qu'apprendre ce soit faire et se regarder faire.

Le sens est alors dans l'entre-deux, entre le dessein qu'on se fixe et le résultat auquel on parvient. Le sens a fortement à voir avec la conscience de soi. Il réside dans la conscience de sa conscience. Le sens est la pensée de sa pensée, il est prise de conscience intentionnelle.

Les activités métacognitives (le préfixe méta veut dire «à côté») ont pour fonction d'aider les élèves à faire un pas de côté, à se placer à côté de leurs activités cognitives afin d'explorer leurs cheminements intellectuels. En les conduisant à analyser les processus de méta-attention, de méta-mémoire, de méta-stratégie qui mènent à la réalisation d'une tâche donnée, ces activités métacognitives leur permettent d'identifier et de décontextualiser les problèmes qu'ils ont eu à résoudre dans les tâches scolaires. Cette décontextualisation accompagnée du processus de recontextualisation dans de nouvelles tâches est à l'origine des transferts cognitifs dans les apprentissages. L'entretien d'explicitation de Pierre Vermersch <note 4> constitue une technique performante pour aider à l'introspection et à la verbalisation nécessaires aux activités métacognitives. Cet auteur «cherche à guider le sujet dans la verbalisation précise du déroulement de sa conduite, c'est-à-dire de ses actions matérielles et mentales». Aussi insiste-t-il, lors du déroulement de l'entretien, sur la dimension descriptive qu'il doit prendre (interviewer l'élève en termes de comment et non en termes de pourquoi), sur l'importance à faire exprimer les élèves au sujet de la temporalité, de la spatialité et de la causalité de leurs actions.

Les activités métacognitives permettent à l'apprenant de prendre conscience de ses stratégies à l'occasion d'une tâche déterminée, dans le discontinu d'une année scolaire donc. Mais il est tout aussi

[début de la page 26 du texte original]

nécessaire de favoriser cette prise de conscience dans le long terme, ce qui n'est possible que si l'élève a connaissance des éléments qui constituent le programme qu'il a à suivre.

Une publicité des savoirs qui constituent les programmes mériterait d'être faite en début d'année par l'enseignant afin que les élèves aient connaissance de ce dont ils s'enrichiront au cours de l'année. La pratique du plan de travail à l'école primaire, organisée sur une semaine, les référentiels de compétences jusqu'ici seulement utilisés par les enseignants du secondaire devraient constituer d'indispensables outils de régulation de l'action pour l'apprenant. Le système scolaire fonctionne tout entier sur la confiance que l'élève doit accorder à l'enseignant qui, très rarement, lui donne des indications sur les compétences à acquérir. Des tableaux de bord permettant à l'élève de situer ce qu'il maîtrise, ou est en voie de maîtriser, par rapport à ce qui lui reste à dompter seraient sans doute d'utiles compagnons, lorsque l'on connaît les rares indications que transmettent les livrets scolaires. On le pressent, le bénéfice attendu des activités métacognitives gagnerait à être intégré à une pédagogie de contrat entre le maître et l'élève afin que chacun se responsabilise à l'égard de l'autre en précisant son action.

L'idée de projet a souvent affleuré à travers notre propos. Le projet étant ce passage du dessein au dessin, avons-nous dit. Mais plus encore que de projet, souhaiterions-nous suggérer, comme nous venons de le faire à l'instant, de parler et d'agir en termes de contrat. Le contrat responsabilise les deux parties engagées dans une transformation. Il me semblerait plus important de parler de contrat d'établissement, de contrat scolaire, de contrat d'objectifs que de parler de projet d'établissement, de projet scolaire. Le projet permet de penser l'utopie, le contrat permet de penser l'engagement réciproque.

Construire le sens

On le voit sûrement, nous nous situons ici dans une vision constructiviste et interactionniste des apprentissages.

Le monde extérieur n'existe pas - conceptuellement parlant - en dehors du regard que le sujet porte sur lui. Certes, cet arbre de l'autre côté de la fenêtre est là, cette lumière que diffuse ma lampe de bureau préexiste à mon propre regard. Mais ils constituent des entités, des données à voir, qui n'existeront vraiment, n'entreront dans mon existence que lorsque je les aurai comprises, lorsqu'intellectuellement, affectivement, je les aurai fait miennes.

Ainsi, le sujet construit ses structures intellectuelles, donc se construit en apprenant le monde, en donnant du sens au monde.

Apprendre est cette action de construction du sujet par laquelle ce dernier s'approprie des pans du réel, processus qu'il est possible d'analyser à deux niveaux.

- Un premier niveau, individuel, intègre des données cognitives et affectives.

- Un second niveau, social, cherche à comprendre comment s'intègrent les cultures que représentent le sujet et l'objet qui sont des entités situées socialement, historiquement, culturellement. Ainsi, «les explications causales les mieux affûtées ne peuvent donner un sens plausible à la condition humaine sans être interprétées à la lumière du monde symbolique que constitue la culture humaine» <note 5>. Alors, comprendre comment un enfant parvient à lire, à écrire, à compter, à découvrir plus tard ce qu'est une société ou ce qui différencie un segment et un vecteur, nécessite de considérer ces deux niveaux: cognitif et affectif d'une part, social d'autre part.

Mais apprendre n'est pas un processus passif. C'est un processus actif et même réactif. Pour apprendre, il convient de se donner le projet d'apprendre. Dire aux élèves qu'il convient d'ouvrir grands leurs yeux et leurs oreilles pour suivre en classe risque de les conforter dans l'idée que l'attitude facilitante pour l'apprentissage est une attitude passive. Il n'en est rien. L'apprentissage suppose un projet. Il y a projet lorsque «le dessein conduit à un dessin», écrit Husserl, lorsque le but se trouve relié à l'itinéraire qui permettra de l'approcher. Tout apprentissage, puisqu'il vise à atteindre une connaissance, est bien dessein et dessin, intention et action, produit et processus. Tout apprentissage s'inscrit donc bien dans une optique de projet.

Mais l'apprentissage est plus encore construction de sens que réalisation d'un projet: il y a apprentissage lorsque le projet d'apprendre prend du sens; c'est-à-dire lorsque le projet construit un ensemble de repères, un ensemble de valeurs qui permettent au sujet de mettre son monde en ordre, de se le construire, et progressivement de partager son monde avec ceux d'autrui. Le sens se construit ainsi dans l'action consciente du sujet qui s'engage et qui parvient à regarder cet engagement. Le sens est investissement. Il est réponse à un désir, à une motivation, à un intérêt. Il est de surcroît prise de conscience, donc prise de distance à l'égard de ces investissements.

Conclusion

Apprendre c'est trouver du sens dans l'école, dans les activités qui sont proposées par les enseignants.

Ainsi le sens, l'enseignant peut tout faire pour l'aider à advenir. L'enseignant est, comme le dit Michel Serres, un passeur. Il est celui qui peut aider à advenir. Il n'est pas celui qui décide. Il peut aider le désir de l'élève à trouver place à l'école. Il ne pourra jamais le faire exister, car le désir c'est d'abord la propriété de l'élève.

Notes et références

<Note *> Extrait d'une conférence prononcée au Cégep Marie-Victorin, le 21 octobre 1993, dans le cadre des grandes conférences de l'AQPC.

<Note 1> L'expression est définie et illustrée plus longuement dans MARTINAND, J.-L., Connaître et transformer la matière, Berne, Peter Lang, 1986.

<Note 2> PELLETIER, D., «Le projet ou l'élaboration cognitive du besoin», Projet-formation-action, Revue éducation permanente, 1986.

<Note 3> On pourrait se reporter à ALAIN, Propos sur l'éducation, Paris. P.U.F., 1948.

<Note 4> On se reportera entre autres à des articles de P. Vermersch comme celui publié dans les Cahiers de Beaumont en avril 1991, intitulé «L'entretien d'explicitation».

<Note 5> BRUNER, J., ... car la culture donne forme à l'esprit, Paris, ESHEL, 1991, p. 147.