Garantir la qualité en éducation / Louise Marcil-Lacoste. -- Pédagogie collégiale, 5, no 4, mai 1992, p. 41-44.
Par l'évaluation des pratiques éducatives.
Texte intégral de l'article

Garantir la qualité en éducation <note 1>

Louise Marcil-Lacoste
Professeure
Département de philosophie
Université de Montréal

La garantie de la qualité de la formation passe nécessairement par l'évaluation des pratiques éducatives. Non pas une évaluation qui cherche d'abord à classer en fonction d'un modèle unique mais une évaluation qui vise le développement dans le plus grand respect de la pluralité.

La question de l'éducation passe aujourd'hui par une interrogation centrale qui est la question de la qualité. Pour parler de «garantir» la qualité en éducation, il semble donc nécessaire de prendre le taureau par les cornes. Je propose ici quelques réflexions sur la manière dont en cette matière les dés sont pipés. Mon intention n'est pas de lancer un nouveau refrain misérabiliste sur le thème «la qualité ça n'existe pas» ou encore «la qualité n'est pas pour tous» ou encore moins «la qualité n'est pas pour nous». Mon intention n'est pas davantage de moquer les efforts visant à garantir la qualité dans nos collèges, étant sous-entendu que pour garantir une qualité, il faut la contrôler, une opération dont on admettra qu'elle est plus agréable au contrôleur qu'à celui dont les activités sont contrôlées.

On peut dire que la qualité n'existe précisément que lorsqu'elle est garantie. De fait, dans l'univers où nous vivons, la qualité ne s'offre que sous garantie. Pourquoi alors nos collèges offriraient-ils moins pour nos adolescents que des marchands d'appareils ménagers? En fait, il n'y a certainement aucune raison valable pour laquelle nos sociétés qui assurent par «garantie» (et si facilement) la qualité des objets qui sont dans le commerce n'offriraient pas de «garantie» pour l'éducation des personnes qui en sont les membres et qui la constituent.

Cette réponse à la question est peut-être pourtant trop rapidement évidente, ainsi que le suggèrent plusieurs discours qui s'y opposent. On dira qu'il est facile de prendre des vessies pour des lanternes, des étudiants brillants pour des prix Nobel et tous les autres pour des médiocres, voire pour des nuls. Et que de toute façon, il s'agit là non de qualité mais, pour tout dire, de bureaucratie. Chacun sait ce qu'il en est des interminables formules qui font littéralement crouler de fatigue les pauvres redevables de compte, au nom du public. La responsabilité, sous sa forme de reddition de compte, lorsqu'on la mesure à la tâche de celui qui doit rendre des comptes prend trop fâcheusement l'allure d'une surcharge administrative où il est question de tout sauf, précisément, de qualité.

La question mérite qu'on s'y arrête. Ce que je suggère ici est que la raison pour laquelle il est si difficile de garantir la qualité de nos collèges dépend - et c'est là le paradoxe - de la manière dont nous parlons de qualité. Ma thèse est la suivante: lorsqu'on parle de la qualité de nos collèges, il faut absolument sortir du globalisme et sérier les choses correctement.

Qualité et évaluation des pratiques éducatives

Parler de qualité en éducation, c'est parler nécessairement de l'évaluation des pratiques éducatives. Et voici le paradoxe plus précis que je veux analyser: alors que tout le monde est favorable à la qualité - comme tout le monde est pour le bien - il s'en faut de beaucoup que l'on s'accorde sur son corollaire indispensable, l'évaluation. A l'opposé du terme «qualité», le terme «évaluation» a mauvaise presse. Il constitue l'un des termes les plus hypothéqués de notre culture éducative: il est presque devenu un mot tabou.

Plusieurs facteurs expliquent le malaise, voire le discrédit, qu'évoque l'idée d'évaluer les pratiques éducatives et la qualité des collèges. On craint la chasse aux sorcières, les comparaisons inhibantes, les censures injustes, la tension inhumaine et le syndrome d'échec que l'évaluation aurait entretenus, sinon créés. Et le passage d'une évaluation aux formes négatives - coercition, autoritarisme, rigueur étriquée, rejet, injustice - à une évaluation aux formes positives ne semble pas, pour l'heure, accompli.

Un système d'évaluation aux formes positives serait un système où l'on ferait du processus d'apprendre, marqué d'essais et d'erreurs, une manière continue d'assurer le développement. Une manière surtout de parler d'itinéraire. Une manière de dire là où l'on est arrivé, en utilisant ses bons coups comme autant de bonnes raisons de poursuivre, en utilisant aussi ses faux pas comme on le fait quand on apprend à marcher. Dans la société, dans la grande vie, dans l'univers des performances et des redditions de comptes, les faux pas, les erreurs sont une calamité. C'est en éducation et en éducation seulement que les erreurs sont des occasions à prendre,

[début de la page 42 du texte original]

des occasions d'apprendre et cela on le sait depuis Jean-Jacques Rousseau.

Si bien qu'une autre explication du réflexe de rejet que semble provoquer l'idée d'évaluer l'éducation devient perceptible. Lorsqu'on parle de qualité, on le fait trop souvent dans un contexte de controverse, d'agressivité, pour ne pas dire d'accusation. On se sert de l'argument de qualité (ou comme on le dit maintenant de la notion d'excellence) pour dénoncer les lacunes du système d'éducation: on dit que les collèges privés ont de la qualité, mais c'est pour dire que les collèges publics n'en ont pas; que les étudiants d'avant la réforme faisaient des apprentissages de qualité mais c'est pour souligner que les étudiants d'aujourd'hui n'y arrivent pas; on dit que tel nouveau programme a de la qualité, mais c'est pour dire que celui qu'il remplace n'en avait pas.

Et puisque le milieu scolaire est un milieu que souvent traversent des crises - non seulement des crises patronales-syndicales mais surtout des crises dites «de qualité» - tout le monde peut se renvoyer la balle de tous côtés. A ceci près cependant que lorsqu'on renvoie la balle, on dirait que c'est seulement pour dire d'un autre qu'il l'a ratée. Et ce que l'on ne sait pas, c'est comment faire la part du feu de balle en balle. On ne sait pas comment évaluer.

La vraie question devient alors la suivante: il faut trouver des moyens de rendre la question de la qualité décidable dans ses acquis, ses défis, ses difficultés. Sinon on se condamne à la mise en solde permanente, sans que les consommateurs ne soient plus avertis. Car ce n'est pas parce que l'éducation est publique que la question de sa qualité doit devenir esclave de la publicité. Dans la réclame c'est sûr, on doit déclarer «bon» seulement ce qui déclasse. Mais dans les classes, la question de la qualité se pose autrement.

La pluralité

En continuant de s'interroger sur ce phénomène, on découvre pourtant autre chose, une idée vieille comme le système scolaire lui-même et avec laquelle, quoi qu'on en dise, on n'a pas encore rompu. L'idée qu'il y aurait quelque part au monde le meilleur système scolaire, quelque part au Québec, le meilleur collège et ce, objectivement - c'est le sens n'est-ce pas, de la garantie? Bien entendu, chacun sait qu'il n'existe pas sur terre de meilleur système au monde, ni au Québec, de meilleur collège dans l'absolu. Mais le message prospectif de cette considération n'a pas été entendu. Il n'y a pas de meilleur système ou de meilleur collège pour la raison très simple qu'il y en a plusieurs. Comme le veut le dicton, il y a plusieurs bonnes manières de faire une bonne chose et ceci est vrai de la qualité de l'éducation.

Il faut donc situer la question dans un contexte de pluralité. Même évaluer une classe n'est pas, à la limite, en évaluer une autre. Et la pratique trompeuse qu'il faut interroger est celle qui consiste à évaluer chacun en fonction tout d'abord de ce que font les autres, au lieu d'évaluer chacun en fonction d'abord de ce qu'il fait et cherche à faire par tous les moyens. Je ne dis pas ici qu'il faut abolir toute comparaison entre les systèmes ou entre les collèges. Je dis qu'il faut situer cette comparaison correctement.

Et la place de cette comparaison n'est pas au début, ni au coeur de l'évaluation elle-même. Au début et au coeur de toute évaluation, il y a tout d'abord la liberté du maître, car il y a sa responsabilité. En philosophie, on apprend que seuls des êtres libres peuvent être responsables et responsables seulement de ce qu'ils ont fait. En éducation aussi, seuls peuvent être tenus pour responsables des enseignants libres et je nie que cela ne soit pensable que pour des professeurs d'université.

Croira-t-on qu'en parlant de liberté du maître je m'éloigne ici de la question? Il n'en est rien, car pour bien enseigner, il faut croire à ce que l'on fait, y croire assez pour faire tous les efforts permettant d'arriver aux buts. C'est lorsqu'on croit à ce que l'on fait que l'on devient capable précisément d'évaluer ses itinéraires, leurs défis, leurs difficultés. C'est alors qu'on devient capable de procéder à une évaluation positive, non pas comme dans la réclame, celle qui dit «il n'y a ici que du bon», mais plutôt celle où l'on devient capable de faire des jalons de ses temps forts et de ses temps faibles, avec une même détermination.

Évaluer chacun en fonction tout d'abord de ce que font les autres, c'est non seulement installer tout le monde entre deux chaises, c'est aussi, en matière de qualité et de garantie de qualité, mettre la charrue devant les boeufs. Sortir du globalisme en matière d'évaluation exige donc ici de reconnaître la pluralité des modèles de qualité. Ce n'est pas seulement pour les enfants qu'il existe plusieurs manières d'effectuer un apprentissage. C'est aussi pour tout éducateur chez qui l'acte d'enseigner demeure un art vivant. J'adore ce mot de Kant - un autre philosophe - lorsqu'il disait que l'homme est un animal qui a besoin d'un maître. Car la clause qu'il ajoutait à cet énoncé était la suivante: l'homme est cet animal qui a besoin d'un maître qui a lui-même besoin d'être éduqué.

Mais reconnaître la pluralité et la diversité, n'est-ce pas dire que la qualité cesse d'être mesurable? Avoir tant de critères de qualité serait en somme la même chose que d'en n'avoir aucun. Un peu comme on dit, à propos des réclames, que si on a le choix entre trop de choses, on est dans une situation d'over choice et l'on devient essentiellement passif, voire inhibé.

Encore une fois ici, les dés sont pipés par le globalisme, car ce que signifie la reconnaissance de la pluralité des modèles et des pratiques éducatives n'est pas qu'il est impossible d'évaluer. Cela signifie une chose très simple mais que tout système de reddition de comptes a beaucoup de mal à reconnaître. On ne peut évaluer la qualité d'une manière uniformisée, comme s'il n'y avait qu'un étalon ou qu'une liste unique d'un ensemble d'étalons.

[début de la page 43 du texte original]

Du seuil minimal à la perfection

J'en viens à l'essentiel, car la reconnaissance de la pluralité n'a pas de sens que négatif. Ce que cette reconnaissance appelle est une autre manière d'évaluer. Quel que soit le modèle, quelle que soit la pratique, on peut y identifier un ensemble gradué d'exigences de qualité. Au premier palier, il s'agit d'efficacité minimale dans la poursuite de certains objectifs, généralement peu nombreux, mais dits «de base»; au second palier, il s'agit d'une moyenne acceptable dans la poursuite d'un ensemble d'objectifs, comme on parle de «moyenne au bâton»; au troisième, on parle du degré éminent de succès, ce qu'il est convenu d'appeler «excellence»; au quatrième palier, on parle de perfection, d'un achèvement tellement éclatant qu'il dépasse alors le mesurable, comme lorsqu'on dit que l'on dépasse ce que l'on a passé.

Cette façon de voir les choses appelle deux remarques. Tout d'abord, la manière dont il est facile ici de piper les dés par le globalisme du sommet. Car il faut bien le dire: si la perfection (pensons à un prix Nobel) et l'excellence ont si bonne presse, c'est que c'est à ces niveaux et à ces niveaux seulement qu'il est tout à la fois facile et surtout agréable d'évaluer. Ces niveaux en effet échappent au tabou de l'évaluation et pour cause: c'est là où s'associent spontanément le positif et l'évaluation.

Seconde remarque: le premier palier n'a que les apparences de la simplicité. Disons-le carrément: il est si loin d'être sûr que tous les étudiants atteignent le seuil minimal de qualité éducative que toutes les grandes enquêtes, toutes les grandes réformes ont toujours déclaré que c'était à ce niveau précis de qualité que les systèmes avaient tendance à déraper. La raison en est simple, bien que la plupart du temps elle soit comprise en sens inverse de ce qu'elle dit. Le premier palier est en fait le plus difficile à atteindre, non parce qu'il est déclaré le palier le plus généralisable de la qualité, mais plus profondément parce qu'il est le plus fondamental.

Et dire ceci, c'est dire que c'est à ce niveau que se posent les défis les plus redoutables. Car cela suppose l'identification de ces fameuses bases dans un contexte marqué par l'explosion des connaissances, la spécialisation des disciplines et la pluralité des valeurs. D'où l'on pourra comprendre en tous cas à quel point il est facile de dédaigner ce premier niveau de qualité et tout à fait à contresens d'en discréditer la réussite au nom de l'excellence ou des paliers plus élevés.

Pour relier le pluralisme et la garantie de qualité il faut donc définir en tout modèle (et selon sa logique propre) des seuils gradués de réussite, c'est-à-dire ses exigences de qualité. Ce qui est une autre manière de dire que pour évaluer correctement la qualité de nos collèges, il est faux de croire que seuls les paliers les plus élevés soient susceptibles de qualité.

Qualité et accessibilité

Mais j'entends une nouvelle objection à cette thèse, puisqu'en parlant des seuils fondamentaux de l'évaluation de la qualité, j'ai fait allusion au fait que ce niveau était celui que les systèmes déclarent généralisable. La garantie de qualité pose alors un nouveau problème, indépendant en apparence de la qualité elle-même, à savoir la question bien connue de la qualité éducative dans un contexte déclaré d'accessibilité universelle à l'éducation.

C'est le dilemme bien connu en philosophie de la qualité et de la quantité. C'est le dilemme mieux connu encore dans la vie: il serait impossible de rendre partout l'enseignement collégial accessible - toutes sections et options confondues - et de maintenir les exigences de qualité. On aurait alors le choix entre l'un ou l'autre, c'est-à-dire qu'on n'aurait précisément pas le choix, en tout cas, de la qualité.

Les dés, encore ici, sont pipés par le globalisme. Pour relier positivement l'évaluation et l'égalité des chances, il faut sortir de ces dichotomies; il est d'autant plus possible de relier positivement la qualité et la quantité, la qualité et l'accessibilité, qu'en éducation, pas plus que la qualité, l'égalité des chances n'exige pas du tout l'impératif catégorique de l'uniformité.

Pour qu'un niveau d'enseignement soit universellement accessible, il faut des établissements accessibles partout. Une fois accessibles, c'est-à-dire, une fois qu'on y est entré, il faut encore des chances de réussir partout comparables; on pense ici surtout aux chances de réussir aux deux premiers paliers de qualité. Il faut que les chances de réussir soient à ces deux niveaux suffisantes pour que l'on puisse assurer à chacun l'atteinte de ces paliers.

Or, il est si loin d'être assuré qu'à ces deux niveaux tous les étudiants aient (en ce moment) des chances comparables de réussite qu'une des manières typiques par laquelle on procède à la généralisation consiste à amputer les programmes de leurs meilleurs ingrédients au moment même où on les généralise: le postulat étant que tous ne peuvent y accéder, et la résultante étant l'évaluation négative confirmant leur nullité.

Mais on tourne en rond ici, puisque c'est un contresens de dire que tous les étudiants ne peuvent atteindre ce qu'on ne leur a pas même proposé. L'égalité des chances, si cela veut dire quelque chose, veut dire la généralisation de la qualité et non son amputation. Elle signifie la généralisation la plus universelle possible et au plus haut niveau possible des rêves et des recherches de qualité. Et plus ils seront nombreux à y accéder, plus il faudra dire non que l'on vient de s'accorder de la quantité, mais précisément de la qualité. Car ce n'est pas du fait qu'une bonne chose soit multipliée qu'elle cesse d'être bonne ou de qualité.

[début de la page 44 du texte original]

Élitisme et uniformité

Disons les choses plus carrément encore. L'élitisme que combat la notion d'égalité des chances ne réside pas dans le fait que dans nos collèges il y aurait des individus dont les seuils de réussite seraient différents, certains réussissant mieux ou atteignant des seuils plus élevés que d'autres. L'élitisme que combat la notion d'égalité des chances réside dans le mépris. Dans le mépris systématique des seuils généralisables de qualité effective, comme si une fois atteint par tous, tous en devenaient démunis. L'élitisme que combat la notion d'égalité des chances ne réside pas dans l'existence de programmes aux exigences graduées de qualité, il réside dans l'étroitesse des voies d'accès aux meilleurs programmes, comme si le but de ces programmes était de s'assurer au plus vite d'un bon goulot d'étranglement. Une porte assez étroite pour étrangler tous les apprentissages possibles et laisser ce que l'on appelle «la masse» dehors.

L'élitisme que combat la notion d'égalité des chances ne réside pas dans la diversité des cheminements. Il réside dans l'amputation, trop souvent systématique, des programmes à partir du moment où il est question de les généraliser. L'amputation précisément de ce qui faisait leur valeur et leur qualité, quand on était sûr que seule une élite pouvait y accéder.

On a tellement répété que pour assurer l'accessibilité de l'enseignement, il fallait que tous aient la même chose - à savoir, pour commencer, un collège - qu'on a oublié de constater qu'une fois entré dans le collège, l'ennemi de l'égalité n'est ni la qualité, ni la diversité. Son ennemi est l'uniformité. Et ici s'explique l'impasse à laquelle nous reconduit le faux dilemme de la qualité et de l'accessibilité: l'élitisme que combat la notion d'égalité des chances est le résultat direct et inévitable d'un modèle éducatif uniformisé - et garanti - du modèle grâce auquel (et parce qu'il est unique) on peut constamment procéder à l'élimination de ceux qui ne correspondent pas au portrait- robot.

Conclusion

Tous les étudiants sont uniques: d'où l'exigence de pluralité. Tous les étudiants se valent: d'où l'exigence de qualité. Et s'il est un moment où l'évaluation devient indispensable, c'est bien quand on en arrive à ce nouveau seuil de la réflexion. Car s'il est un moment où la qualité ne peut se passer d'évaluation - et de garantie - c'est bien celui le plus difficile de tous: celui où pour donner à chacun des chances de réussite comparables et au plus haut niveau possible, il faut conjuguer ensemble des requêtes de justice et de qualité. Et la seule façon pour un système d'être alors équitable, sur la question même de la qualité, c'est de prendre la pleine mesure de ce qu'il est dans et par sa pluralité.

Pour garantir la qualité il faut s'approprier les exigences de la justice en traversant les exigences de la qualité. Ceci n'est pas la quadrature du cercle, même si c'est un passage difficile à assurer. Il s'agit du passage d'une conception minimale de la justice à une autre conception. On passe alors de la conception minimale - en philosophie on l'appelle «justice commutative» - dont la formule est: à chacun la même chose. A chacun donc l'accès à l'éducation. Mais une fois entré dans le collège, la formule de la justice change de perspective. Elle y devient une autre forme de justice - en philosophie on dit «justice distributive» - c'est-à-dire une forme de justice dont la formule varie nécessairement. La formule dit ceci: à chacun selon ses talents, ses besoins, ses mérites, ses performances. A chacun bref selon quelque chose qui n'est pas uniforme et qu'il faut distribuer.

En éducation, la chose la plus extraordinaire est qu'on a une notion prospective de cette justice-là. On a une notion prospective de la justice distributive car on sait que les capacités ne sont pas figées. On sait, quant aux besoins, qu'ils se ramènent tous à des questions de croissance, à des questions d'avenir. D'où il faudra conclure, au risque de devancer l'univers des réclames, des redditions de comptes et des performances, que la raison ultime pour laquelle il est si important de garantir la qualité en éducation, la raison pour laquelle il est impératif de passer d'une vision négative de la garantie à une vision positive, c'est que cette garantie n'a pas d'autre finalité que de prendre au sérieux l'éducation elle-même. Le rêve et le désir qu'a chacun de se réaliser. Le rêve et le désir qu'a l'éducateur d'aider chacun à aller au bout de lui-même. Car qu'est-ce donc que la garantie de la qualité sinon une manière d'attester que ce qui est ici un rêve se donne tous les moyens de la réussite, c'est-à-dire transforme l'espoir en projet et ce projet, en détermination?

<Note 1> Conférence prononcée le 24 octobre 1991, à l'occasion du séminaire «L'évaluation, une garantie de la qualité de la formation», organisé par la Fédération des cégeps.
 
 

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